In my past lies who I am
L’heureuse mère d’Enora aurait pu dire depuis sa naissance que sa fille était destinée à faire de grandes choses. Non par fierté maternelle, simplement par cette façon si particulière qu’avait Enora de réagir aux événements. Enora était une enfant solitaire, ses parents étaient souvent absents, ils prenaient à cœur leurs devoirs, mais ça lui permit de développer cette facette d’elle qui fascine tant. Toujours optimiste, toujours si sûr d’elle, même bébé, Enora n’a jamais hésité à grimper sur les meubles ou les gens pour avoir ce qu’elle voulait. Sa mère la regardait charmer leurs invités à coups de sourire édentés, la lumière dans ses yeux reflétant son bonheur de les voir. Enora aimait être entourée, elle aimait les gens, la foule. Pas forcément pour être entendue, juste pour être entourée. Parfois sa mère se sentait coupable d’être si peu présente pour elle et la gouvernante la rassurait toujours. Enora était dans cet état d’esprit, dans cette joie, même durant leurs absences.
Enora grandit et son sourire resta. Une petite renarde blanche, à peine née, devint son amie lors de sa huitième année et bientôt on ne put plus voir Enora sans Neige. Enora découvrit sa première transformation, une renarde rousse comme les feuilles d’automne, lorsqu’elle la rencontra. Elle s’était un peu trop éloignée du chemin alors que ses parents et elles faisaient une promenade, eux sous forme animale, elle gambadant à leurs côtés. Ils ne s’inquiétèrent d’abord pas de la voir s’éloigner – leurs sens aiguisés leur assuraient une parfaite surveillance de leur enfant – mais la confusion s’installa très vite lorsqu’ils virent les deux renardeaux revenir vers eux. Il s’avéra plus tard qu’Enora avait vu le renardeau seul et avait fait sa connaissance grâce au pouvoir qu’elle partageait avec sa mère, celui de parler aux animaux. De fil en aiguille Enora avait voulu être comme sa nouvelle amie pour pouvoir s’amuser avec elle et elle s’était transformée.
La mère avait eu le pressentiment que sa fille ferait de grandes choses et cela semblait s’avérer vrai. Se transformer pour la première fois à huit ans seulement était rare, et prodigieux. Mais la lignée de son mari était puissante aussi crut-elle trouver là une réponse à ce potentiel qui semblait trop développé pour une si jeune fillette. Sa réponse se fracassa contre la seconde transformation de sa fille en panthère à ses onze ans. Peu de métamorphes étaient capables de supporter plusieurs formes, à dire vrai. Dans le monde entier, il n’y avait que trois familles capables de le faire. Les Drek'Rys, son mari avait lui-même deux transformations, les Dyr'Kan qui habitaient à Fortuna et une famille disparue, certainement éteinte. Qu’Enora puisse cumuler le pouvoir de parler aux animaux et celui de se transformer en deux formes distinctes était extraordinaire. La mère ne put s’empêcher de s’inquiéter pour son enfant. Trop de puissance dans un si jeune corps pouvait être dangereux. C’est à ce moment-là qu’elle prit la décision de laisser son mari se déplacer seul. Elle voulait être présente pour sa fille, elle voulait être présente s’il y avait un problème et parce qu’elle avait raté trop d’années déjà.
Enora grandit plusieurs années sans perdre son sourire, râlant quelques peu lorsqu’elle devait se plier aux leçons dédiées à la noblesse. Elle gagna de la prestance, apprit les ficelles du métier et se fit des amis utiles. Elle n’était encore qu’une adolescente quand on lui apprit que les voyages vers le monde était encouragé pour les enfants de la noblesse. Enora ne cessa d’en rêver depuis ce jour.
Son drame arriva lors de l'année de ses treize ans. Enora était très liée avec les enfants d'une famille de marchands qui habitait dans sa rue. Elle les avait rencontré à ses 6 ans et depuis ne quittait plus Lurriel, l'aîné de son âge. C'était son meilleur ami, elle l'aimait peut-être même un peu, elle n'en fut jamais sûre. Leur amitié était étincelante, pleine de malice et de bêtises. Et le jour des treize ans de son ami, il disparut. Enora ne sut jamais ce qu'il lui était arrivé, c'était comme s'il n'avait jamais été là. Il n'y avait aucun mot, aucun adieu. Lurriel l'avait juste quitté, sans même prévenir sa famille. Ce fut un jour sombre pour la lumineuse Enora. Elle pleura, beaucoup, endurcie un peu son cœur, parce qu'elle ne voulait plus être blessée par l'amitié, puis elle se releva. La douleur au fond de ses yeux laissa place à une colère juste et à sa détermination légendaire. Si Lurriel était parti sans rien dire alors il ne méritait pas qu'elle pleure pour lui. Elle se ferait d'autres amis et resterait fidèle à elle-même, tant pis pour les conséquences ! Enora était une jeune fille pleine de détermination, elle vivait comme au premier jour, comme si ce jour était le dernier. C'était par cette particularité qu'elle se releva et oublia Lurriel avec la meilleure volonté possible pour avancer. Il ne méritait pas qu'elle s'apitoie sur son sort.
Enora découvrit une troisième forme animale sous l’œil inquiet de sa mère à ses quinze ans. Au troisième étage de leur manoir, la jeune fille se disputait avec son père sur la manière dont elle utilisait son temps. A bout de nerfs, bien trop énervée pour réfléchir, Enora courut à une fenêtre ouverte et sauta. Sa mère hurla, son père se transforma en faucon immédiatement pour tenter de la rattraper puis ils virent tous les deux un petit rapace aller se percher sur le toit d’en face. Il s’avéra qu’Enora n’avait pas réfléchi, elle avait besoin de s’éloigner et son instinct lui avait soufflé la réponse sans qu’elle ne s’en rende vraiment compte. Elle s’était transformée en élanion, un petit rapace mignon aux cris un peu trop perçants pour les oreilles sensibles de son père. Une transformation très utile à son humble avis.
Contrairement aux pires craintes de sa mère, rien n’arriva à Enora qui appris à gérer parfaitement bien ses pouvoirs. Si c’était un peu plus compliqué avec la noblesse, elle réussit à s’en sortir et devint l’une des plus appréciées. Une étoile montante dans la noblesse de Téthis. Elle n'apprécia que peu la noblesse de Fortuna qu'elle rencontra en même temps que son fiancé, les trouvant trop dédaigneux, Maxwell Dyr'Kan plus encore que les autres. En revanche elle tomba sous le charme du délicat jeu de sournoiserie qui se jouait à Tyché. Elle ne pourrait y habiter sans se faire lynchée mais elle avait grandement appréciée Azalée qui lui avait enseignée quelques ficelles pour tirer son monde par le bout du nez avec son malicieux sourire rusé si caractéristique.
A ses dix-neuf ans pourtant, Enora décida de quitter sa ville et cette vie pour aller explorer le monde. Elle passa une longue année à Isearth où elle apprit une vie différente, plus rude, mais non moins belle. Son retour en Navaeh lui permit d’explorer les deux autres régions du continent, Fortuna et Tyché, qu’elle n’avait que superficiellement visité. Enora fit de nombreuses rencontres durant ce voyage qui dura trois longues années, certaines qu’elle était reverrait sans le moindre doute, d’autres qu’elle savait n’être qu’éphémère. Elle pleura beaucoup en les quittant mais les rires et la joie qui régnait durant ses visites étaient les souvenirs qu’elle en garderait. Enora apprit également à faire face aux situations d’urgence et aux imprévus, qu’ils soient d’origine naturelles ou non. Ce furent trois années bénéfiques pour elle. Enora grandit durant ce voyage et devint la jeune femme qu’elle est à présent. Plus posée, moins vive, toujours rieuse, mais plus réfléchie. Enora n’en reste pas moins Enora, elle reste impulsive et rieuse, elle sait un peu mieux choisir ses interlocuteurs à présent, voilà tout. Sa mère en trouva son charme ravivé, comme si la maturité venait sublimer son naturel.